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La fuite du temps

J’ai de la chance. Pas pour tout, hein, sinon j’aurais le taf de mes rêves depuis longtemps, et tous mes étudiants SAURAIENT CE QUE C’EST LA GUERRE FROIDE, putain de merde. Il est malheureusement des fois où je présume que les pauvrets ont grandi dans la jungle élevés par deux ornithorynques au QI de moule morte. Ou, plus probablement, ils ont fait STG dans un lycée amorphe, ont eu 18 au bac dieu sait comment (probablement qu’on ne leur a pas demandé ce que c’était un tétraèdre, sinon c’était le séchage assuré) et arrivent à la fac en croyant que le prof va dicter les cours. Et la chatte de ta mère, elle dicte les cours aussi?

Bref, plus je vieillis plus je deviens réac. Ce qui est bien à la fac, c’est la déperdition qui s’ensuit dans les groupes à bas niveau. C’est dégueu de penser comme ça, de manière darwinienne, mais si tu préfères avoir une assemblée de cornichons qui souffle entre deux parties de Candy Crush parce qu’ils comprennent pas pourquoi tu es passé de 1970 à 1968 (« putain, c’est pas logique ce cours »), tu me préviens et je vais chercher mon matos de dominatrix en fait ta place n’est pas vraiment en fac.

Revenons à nos moutons. Un jour que j’étais dans une conversation avec dieu sait qui de pas important (probablement un ou une normopathe), est revenue une question que j’ai pas mal entendue ces dernières années, à savoir « tu préfèrerais pas des rythmes de travail plus équilibrés »? Et dans ma tête, j’ai dit « oh putain non, bordel ce serait trop la louze » mais comme je suis une fille polie et un peu lâche j’ai argué de vagues conciliations entre vie pro et vie de famille genre « tavu je peux récupérer ma gamine à 16h30 certains jours » (et faire du yoga, et aller au ciné, mais vu que j’ai un enfant de moins de trois ans il paraît que t’es une pupute si tu le fais en fait). Alors qu’en fait, la réponse elle est pas du tout là.

Je suis partisane, depuis que je suis très très jeune (on va dire 10 ans hein) du « tu bosses, vite, bien, le plus longtemps possible et après tu te reposes et tu t’amuses longtemps ». Avec le recul, je trouve marrant de ne pas avoir fini par faire une profession à horaires décalés (bon, le fait d’être auteure/prof/chercheure me fait parfois bosser tard le soir, mais chez moi, donc ça ne compte pas trop). L’étalage dans la durée, à part pour le sport, je trouve qu’il n’y a rien de plus chiant. Mes meilleures années d’étude, c’est celles où le temps était organisé de la sorte: mon CM1, où l’instit avait fini le programme en mars pour qu’après on ne puisse faire que du sport et du culturel (après, il a eu des emmerdes avec le rectorat pour ça, et c’est dommage*), les années au CNED où ma soeur et moi torchions les devoirs à envoyer fin mars, et après on vivait notre vie, et les années de doctorat où je pouvais passer des jours à écrire et d’autres à rien foutre. Partir très tôt et revenir très tard deux/trois jours par semaine et avoir des réunions de temps en temps, c’est finalement pour moi le rythme parfait. Et ça l’a toujours été.

Pour moi, l’étalement des semaines de cours est une monumentale connerie. A chaque fois que j’entends un cornichon qui n’a sans doute vu que des master et de doctorants depuis l’année 4 canard dire qu’il faut supprimer plein de semaines de vacances, j’ai envie de me marrer à mort. Bon, d’abord parce que déjà ils ont du mal à faire digérer la semaine de cinq jours, je les vois pas en plus se mettre à dos les divorcés, l’industrie du tourisme et une bonne partie des profs (et puis les deux mois en été chez les profs sont un mythe, demandez autour de vous), déjà que ce qu’ils appelaient pompeusement la « reconquête du mois de juin » a été un joli échec dans moult établissements. En tant que mère, on peut pas dire que ça m’arrangera pas le jour où ma gosse n’ira plus à la crèche, pourtant, personne n’aime bosser chez lui avec son nain qui court partout. Cela me fait surtout rire, parce que je ne vois pas trop sur quel élève ils se basent, à part un mou du cerveau avec le QI d’un kaki trop mur écrabouillé sur la grand-place un jeudi de marché. Je pense qu’on va les laisser se dépatouiller tranquillement avec leurs conneries de rythmes à la noix (y’a jamais de bonne heure pour prendre un groupe, de toutes manières: 8-10 h sont pas réveillés, 10h-12h ils ont faim, 13h-15h ils digèrent, passé 15h ils sont pétés parce qu’ils veulent partir, et OUI JE SUIS pour une pause méridienne la plus courte possible bordayl, parce que rentrer chez toi c’est quand même bath, et ça devrait être valable aussi pour les horaires de bureau). Bref, tout ça c’est foutaise et compagnie.

Je me souviens du moment où j’ai compris qu’arriver à gérer son temps était libérateur. Qu’il valait mieux ne s’arrêter que quand tout était terminé, une fois pour toutes. Et que pour une fois, on était pas en train de courir après quelque chose qui, un jour n’existerait plus.