Enormités

Depuis le début de la semaine, les politiques de tout crin ont l’air de constater que l’Université a fait sa rentrée -alors que cela fait exactement deux semaines que l’on joue aux chaises musicales dans le bâtiment D-. Joie et bonheur, ils découvrent comme tous les ans que les salles sont blindées et que personne n’est content. Se repose alors le bon vieux serpent de mer: quand faut-il sélectionner les étudiants? Et comme toute année pré-présidentielle, voilà qu’il faut flatter deux ou trois électorats distincts: les étudiants, le personnel et les possibles parents. D’où un secrétaire d’Etat qui parle de gros mots et une ministre qui noie le poisson (notons que pour cela, elle a de l’expérience).

Soyons réalistes, mes petits choux. La sélection à la fac existe, je l’ai rencontrée. Elle se fait très exactement à la fin du premier semestre, début janvier, quand il fait gris et froid (et qu’accessoirement c’est mon anniversaire). Ce jour-là, dans des amphis surchauffés, 70% des étudiants de certaines filières vont conclure douloureusement ce que souvent ils présageaient depuis des semaines: non, ils n’avaient pas les reins assez solides pour l’ambitieux programme qu’ils s’étaient fixé. Ou bien que procrastiner et se torcher tous les jeudis soirs, c’est le mal. Que les profs de fac ne sont pas des bisounours et qu’avoir le bac, cela fait un moment que cela ne veut sacrément plus rien dire (par contre, tu es effectivement vachement emmerdé quand tu ne l’as pas). Ces étudiants disparaîtront progressivement, puis massivement après que se soient tenus les premiers jurys.

En attendant, tout le monde aura perdu du temps (et l’Université de l’argent…): les profs à leur expliquer qu’ils font hélas fausse route, eux à chauffer une chaise, voire leurs camarades quand certains de ces charmants jeunes gens taperont la discute pendant le TD de Culture et Médias. En général arriveront en L2 ceux qui auraient survécu au crible d’une possible sélection: ex-lycéens de filière générale, ayant si possible gardé deux langues vivantes, sachant bien rédiger ou raisonner… et/ou ceux qui avaient un projet professionnel bien défini. Autant dire que même en bottant des culs on arrive à 50% d’échec.

Sans vouloir instaurer un grand examen d’entrée ni une sélection sur dossier minutieuse, il est assez fallacieux de prétendre que quelqu’un qui n’a plus fait de maths depuis la seconde va réussir une première année de physique, ou que quelqu’un qui a arrêté sa LV2 en 4e arrivera au bout d’une licence de droit bilingue. Et même avec ces garde-fou -qui font déjà hurler les syndicats étudiants-, le niveau n’est pas fameux -même parfois en prépa-. Cette minute fascinante où tu réalises que tu as un TD composé quasiment d’ex bacheliers généraux mais qu’une bonne partie d’entre eux n’est même pas capable de rédiger un résumé solide en français, elle existe.

Vouloir prétendre, comme l’a fait la ministre, à 60% de diplômés du supérieur dans la population active pourrait nous vendre certes du rêve, à nous les profs de fac. Imaginez donc, il y aurait de l’argent! Des postes! Nos confrères et consoeurs encore occupés sur des emplois trop peu qualifiés pour eux pourraient nous rejoindre. Mais le principe de réalité reprend le dessus: faut arrêter de nous prendre pour des lapins de trois semaines.

Je bosse dans une filière qui « fonctionne ». Comprendre, on a tellement peu de mal à la remplir qu’elle fait partie des filières dites « en tension ». Autrement dit, quand on a trop de pimpins, on peut les envoyer voir ailleurs. Parce que ça coûte cher. Nous sommes une dizaine de titulaires dans ma spécialité, nous faisons tous des heures sup -en général peu désirées. Et je passe les contractuels et autres vacataires. Nous savons tous très bien que l’affluence en L1, c’est un peu le péage de St Arnoult un mercredi soir avant l’Ascension. Autrement dit, une fois passé, y’aura moins de peuple. Serait-il moins hypocrite de choisir en amont, et ainsi que tout le monde gagne du temps? Je pense qu’il faudrait y réfléchir.

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