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Petit manuel à l’usage du prof de langues débutant

Hier c’était la rentrée. Aussitôt, on a ressorti tous les vieux marronniers de saison, et on les a secoués afin qu’ils crachent leurs fruits. Après, on se serait crus à Privas un jour de marché d’octobre.

La rentrée, cette plaie. Marronnier officiel des médias français since l’an de grâce MMLXV (au moins)

Ce n’est pas un mystère, j’exerce (parfois à mon corps défendant, mais il faut hélas payer la pâtée du chat et les ordinateurs que ma fille jette, that’s why pas d’article la semaine dernière d’ailleurs) la profession abhorrée d’enseignante agrégée de langues. Et encore, j’ai putain de la chance (j’ai pas passé l’agrég pour rien nan plus), le gros de mon travail consiste à expliquer l’Histoire contemporaine à des juristes, pas à me faire chier avec des 4e et des autels des morts à la gloire de Frida Kahlo. Ce qui est bien à la rentrée c’est que je vois finalement que j’ai le cuir dur: je m’en tape de bosser à plus de 200 km de mon domicile, de gagner moins qu’un plombier à bac+8 et d’écouter, encore et encore, la délicieuse litanie de « mon prof était un connard, mes parents m’ont obligé alors que je voulais faire allemand » (moi aussi, mais à moyen terme l’espagnol est quand même plus utile, soyons réalistes, et c’est la fan de Lang et de musique symphonique qui vous parle), de ne pas choisir exactement mes vacances (et de souhaiter le pal aux ducons qui me prennent pour une blogueuse connasse tentant le CRPE parce que  » c’est quand même trop cool d’avoir les mêmes vacances que ses enfants »… comment dire, heu, une semaine c’est largement suffisant pendant l’année).

Comme ça fait un certain nombre d’années que je suis seriale knouteuse (en fait, en cumulant toutes mes années de sévices divers sur la jeunesse, cela fera dix ans cet hiver), je me dis que je peux édifier les jeunes générations sur comment c’est trop bien d’être prof de langue, loin des poncifs qu’ils vont entendre ça et là, chez nos amis de la formation pour qui la culture s’arrête à deux trois clichés (en espagnol, le taureau Osborne, Che Guevara et les autels des morts, pour les autres langues, vous pouvez compléter) et chez leurs petits collègues qui ont eu le concours dans un Kinder Surprise (ça existe hélas, croisé un ou deux profs d’anglais qui ne comprenaient pas pourquoi on étudiait Maugham en terminale entre autres… -la non-prof d’anglais que je suis aurait très envie de dire « parce que c’est bien et que y’a du vocabulaire super top dedans »-).

« Madame madame on voit ses corones au toro ». Ou comment se retrouver comme un con grâce à une pub pour le porto.

. Bref, petits rookies, ouvrez vos ouïes, vous ne vous en porterez que mieux:

1. On peut tout faire manger à un groupe. Ok, évitez de filer El Buscon à des 4e qui savent à peine lire en français. Mais commencer l’année par un texte que vous connaissez bien et que vous aimez vraiment beaucoup ça aide énormément. Parce que vous connaîtrez les moindres ambiguïtés du document et que du coup vous serez capables de diagnostiquer ce qui risque de marcher ou pas avec ce groupe (y compris leur côté branleur ou leur superconnard attitude, non le groupe parfait n’existe pas). Life so short and love so brief: avec Internet et les banques de données en ligne, vous devriez pouvoir vous passer de manuel (surtout que ceux de ces dernières années sont carrément de la daube en boîte) et ne pas vous escrimer avec des trucs qui vous emmerdent. Le programme ne dit nulle part qu’il faut passer son temps à parler des taureaux, de la famille royale (quoi que y’a des trucs marrants à raconter avec les petites affaires de Don Inaki, dans un esprit purement GOT il y a terriblement moyen de s’amuser). Ni qu’il faille utiliser les manuels. Ne perdez pas de temps, faites ce que vous aimez (sauf si ce que vous aimez c’est la pêche à la truite en Alaska). Sors toi les doigts du cul, petit, et arrête de demander des supports à tout le monde (sauf s’il s’agit d’une copie full HD de Mort d’un Bureaucrate)

Boromir - Ahí se salva todo dios
Oui, en théorie les textes disent qu’on peut s’en servir en cours: c’est un document original en langue étrangère.

2. Sois multisupport et utilise à fond les nouvelles technologies. Tu peux tomber sur des trous noirs de la galaxie où certains utilisent encore des cassettes vidéo. Ne te laisse pas abattre: le matos miniature existe. En plus, tu peux le dégrever de tes impôts. Crée une adresse mail où tu enverras les supports à tes élèves: cela te permettra d’éviter les excuses à la con du genre « j’ai perdu mon texte », « j’étais pas là » et autres mantras chéris des branlotins de tout poil. Avec les internets, fistés les morveux (et qu’on vienne pas me chanter l’air de la fracture numérique, TOUT le monde a un accès internet, d’une manière ou d’une autre).

3. Comme l’oral c’est le bien, n’oublie pas de leur montrer des films. Evite tous ceux qui reviennent un peu trop souvent (pour l’espagnol, Diarios de Motocicleta, El Espiritu de la Colmena ou encore La Lengua de las Mariposas sont putain à éviter): un branleur qui a déjà vu le film va te pourrir la séance. Surprends le peuple avec des bons gros trucs destroy comme Juan de los Muertos, les films d’Alex de La Iglesia ou les premiers Almodovar. N’oublie pas de leur coller une fiche à remplir entre les pattes pour qu’ils évitent de remettre leurs doigts dans leur postérieur pendant la séance.

4. Sois neutre. La bienveillance c’est bien entre gens bienveillants, mais si tu es un prof de langue tu es minimum avec des gens de 12 ans, autrement dit s’ils ont décidé de rien foutre, c’est pas en étant choupi que tu vas faire rentrer quoi que ce soit dans leur tête.  Sois exigeant avec tout le monde, en sachant clairement que ce qui est gratifiant, c’est un élève moyen qui devient bon ou un faible qui devient moyen. Pas un bon qui reste bon.

5. Essaie de chopper des collègues qui ont les mêmes idées que toi et fais corps avec. Parfois, ce sera curieusement avec des gens plus âgés, n’ayant pas les mêmes méthodes que toi (je vomis le mot « pratique » chéri de nos amis les pédagoguenots, un peu comme « tâche » et « apprenant »), mais les mêmes ambitions. Là encore, tu ne peux pas aimer tout le monde ni être aimé de tout le monde, mais parfois c’est très bon de savoir qu’un mec que tu as viré parce qu’il te prenait pour une andouille le faisait aussi en cours de chimie ou de droit constitutionnel. Ou que l’autre prof de langue utilise les mêmes logiciels que toi.

Contrairement à ce qui se dit, il y a encore moyen de survivre dans la profession sans bosser comme un demeuré. Et pour les relous, deux réponses possibles: « c’est pas parce que quand tu es allé aux urgences on t’a fait un toucher rectal par erreur que tous les médecins sont des enfoirés, eh bien c’est pareil pour les profs de langue » et « m’en parle pas, chus obligé de commencer à économiser pour la babysitter dans les années à venir. Parce que moi les vacances c’est une semaine de BNF au moins ».

 

Sur ce, bonne année.